mercredi 14 novembre 2018

Adila (2)



Ce jour fut différent. Il lui fut épargné l’effort de concrétiser l’image dont il rêvait. La femme était là, en face de lui. En chair et en os. Palpable. Ce n’était pas une hallucination. 

Le vizir demeura un moment perplexe puis lui demanda :
— Vous habitez cette tente ?
— Oui, répondit-elle, d’une voix plus douce que toute musique.
— Comment vous appelez-vous ?
— Adila.
— Et pourquoi avez-vous choisi cet endroit ?
— je n’existerais pas si je n’étais pas au-dessus de tout.
— Au-dessus de tout euh… quel âge avez-vous ?
— j’ai toujours existé.
— Vous ne m’auriez pas donné de telles réponses si vous saviez qui je suis.
— Je le sais, vous êtes le vizir.
— Et comment le savez-vous ?
— Je sais tout.
« Une sorcière, pensa le vizir, ou une envoyée des djinns qui tente de me séduire et m’attirer dans son univers ». Sa crainte s’éclipsa quand il évoqua les moqueries des autres vizirs et la grogne du Roi s’il retournait bredouille. Le vouloir de voir ses collègues humiliés devant la considération du Sultan pour lui, de passer devant eux la tête haute et l’air hautain, l’encourage à s’aventurer pour réussir à ramener au palais la belle créature.
— Vous êtes une femme très belle…
— Je l’ai toujours été.
— Le Roi sera très ravi de vous voir.
— Je ne vous crois pas.
— Venez avec moi au palais, vous le constaterez de vous-même.
— Impossible de vous accompagner, de descendre de cette montagne, ne vous ai-je pas dit que je désire demeurer au-dessus de tout ?
— Mais pas au-dessus du Roi !
— même au-dessus du Roi.
La patience du vizir s’épuisa. Il ne lui restait qu'à tenter l’autre méthode : la ramener par la force. Il s’approcha d’elle et la tint par le bras.
— Il faut que vous alliez avec moi au palais de gré ou de force !
Adila se dégagea brutalement. Sa force étonna le vizir. Il fut ébahi quand il la vit s’élever, s’élever, puis s’immobiliser en plein air sans l’aide du moindre support. Elle se trouvait à quelques mètres au-dessus de sa tête ; il se frotta les yeux, les ferma, les rouvrit, elle était toujours là. Ce n’était donc pas une hallucination. Il prit son arc, y plaça une flèche et lui lança l’ultime avertissement en la visant.
— Ou vous descendez tout de suite, ou je vous transperce !
Elle éclata de rire. Un rire qui conforta la justesse de l’idée qu’il se faisait d’elle avant, sans vraiment s’en convaincre. Sa flèche ne résoudrait rien. Une créature capable de se maintenir dans les airs serait invulnérable. Il rangea son arme. Même s’il avait pu s’en servir il n’aurait eu aucun honneur en abîmant sa belle capture. « Mais que faire mon Dieu ?», soupira-t-il.
— Dites au Roi de venir me voir.
— Le Roi, venir vous voir ? Vous êtes folle ?
— Vous saurez le convaincre.
— Le convaincre ? Mais pourquoi ne pas me simplifier la tâche en me raccompagnant au palais ?
— Je ne bougerai pas d’ici sans que mes conditions ne soient acceptées.
— Quelles conditions ?
— Je les exigerai au Roi s’il décide de venir me rencontrer au sommet de cette montagne.

Le Roi rassembla toutes les hautes personnalités de son palais. A ses côtés, étaient assis la reine, l’air quelque peu inquiété, et le vizir des affaires personnelles dont le visage exhalait quelque fierté. Tout le monde avait constaté ces derniers temps l’estime que lui témoignait le Sultan. Et pourtant, il était revenu les mains vides au retour de son périple. Ses collègues attendaient qu’il soit réprimandé ; rien ne fut de cela. Au contraire, Le Roi l’accompagna quelques jours plus tard  dans un voyage dont la destination demeura inconnue. On chuchotait au palais que le vizir aurait trouvé un précieux trésor. Mais personne n’en était vraiment certain. La seule certitude était que le rassemblement ordonné par le Roi avait une relation avec les agissements curieux et orgueilleux du vizir des affaires personnelles. 
Le Sultan prit la parole : « Ce jour marquera le début d’une ère nouvelle dans l’histoire du royaume. Je vais vous communiquer les décisions importantes que nous avons prises. Nous avons agi en notre âme et conscience pour le bien de tous les citoyens. Je sais qu’il y aura des réticences quant à l’application de nos ordres. Sachez que tout ce que nous avons décidé doit être concrétisé. Nous avons dans nos prisons des détenus incarcérés pour la simple raison d’avoir une opinion contraire à la nôtre. Certes, ils nous ont offensés ; ils nous ont même insultés ; mais ils avaient utilisé leur intelligence et leurs idées, et nous avions usé de la puissance de nos bras. Nous n’étions pas à armes égales ; ils avaient… de vraies armes. Il y avait injustice.  Ce qui nous a valu la perte de la confiance de notre peuple que je décide de reconquérir ce jour en ordonnant la libération immédiate de ces prisonniers. Les femmes du harem ont le libre choix de partir ou de rester. Que chacune mène sa vie comme bon lui semble ! Il nous sera désormais difficile et insupportable d’être la cause du malheur de quiconque. J’ordonne que tous les objets, tous les biens, accumulés injustement dans le palais, soient restitués à leurs véritables propriétaires. Enfin, nous informons nos savants  qu’ils ont toute la liberté de penser et s’exprimer ouvertement, sans crainte d’être muselés par quiconque. Toutes les décisions que nous avons prises doivent être exécutées à partir d’aujourd’hui, rien ne m’assure que je serai de ce monde demain ».

La nouvelle suscita une grande admiration au sein de la population. Un espoir naquit même chez les démunis qui n’étaient pas directement concernés par ce changement d’attitude du Sultan. Mais quand le soleil se lève, il éclaire et réchauffe tout le monde. Le discours ne passa pas cependant sans créer un mécontentement dans le palais. Le soleil éclaire, réchauffe, mais dévoile aussi. Etaient mécontents les vizirs qui virent dans cet étonnant retournement une atteinte à leurs pouvoirs, à leurs biens. La Reine qui était de leurs avis se sentit frustrée. Le discours de son mari lui avait révélé qu’il lui échappait. Il ne lui avait pas fait part de ses intentions à la veille du jour historique. Il n’avait pas jugé utile de l’associer à son important projet. Il craignait peut-être qu’elle s’y oppose. Il n’avait pas tort. La Reine ne pouvait plus s’empêcher de penser que son mari avait perdu confiance en elle.
Chacun des mécontents put contenir sa révolte pendant les premiers jours qui suivirent le discours. Tous brûlaient de crier haut que le Roi était fou, mais personne ne dit mot. Ils attendaient que quelqu’un ose. Et la Reine osa.

Quelques jours après l’évènement, elle réunit les opposants : « Le Roi est parti à l’aube, sans gardes, il n’est pas revenu ; je sais bien que vous n’avez pas accepté comme moi ce qu’il avait entrepris. Je sais qu’il vous inquiète autant que moi. Il est temps de le sauver de sa folie. Préparons-nous pour aller à sa recherche. Maintenant ».

                                                                                    Par Bachirrr
                                                                                                                   A suivre...

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