mardi 13 novembre 2018

Adila (1)



Le Roi avait sous son autorité tout le pays. Cela n’aurait étonné personne si le sens du mot « pays » ne contenait pas, en plus des biens matériels, les esprits et les cœurs des citoyens. La première loi qui régissait le royaume et de laquelle découlaient tous les règlements s’intitulait : tout appartient au Roi, tout obéit à sa volonté. S’il désirait ôter un enfant à sa mère et l’offrir à une autre femme, personne ne devrait protester ; la plainte de la mère serait vite rejetée, car elle mettrait en doute la sagesse et la clairvoyance du Souverain. Et nul n’avait le droit d’en douter.
Comment agissait Sa Majesté pour qu’il n’y ait pas d’entrave à l’exécution de ses décisions ?
Il avait gagné la confiance de son peuple. Chaque fois qu’une voix s’élevait pour protester la muselaient les reproches niais de la majorité des habitants ; elle est accusée de blasphème. Se retrouvant isolé, le révolté finissait par reconnaître qu’il avait perdu la raison, car il ne pouvait pas être plus connaisseur que ses parents, ses aïeux ; que toutes les générations qui défilèrent. Si les riches et les pauvres du Royaume convenaient pour une même idée, elle ne serait autre que d’obéir au Roi et l’adorer.
Rien n’est jamais parfait. Le pays n’échappait pas à la véracité de ce dicton. Partout, la Terre a toujours donné naissance à cette sorte d’individus qui préfèrent mourir plutôt que se soumettre, des gens à l’esprit perçant, allant au-delà de toute limite, aux cœurs bondissants, brisant parfois les poitrines pour les quitter et aller s’éclater en toute liberté. On les désignait par le qualificatif connu par tous les citoyens: les rebelles. 
Cette situation n’est nullement étrangère au Roi. A ces brebis galeuses, il désigna des loups qui sauront comment s’y prendre. Il devait suivre les conseils du défunt père. Et ce genre de loups ne manquait pas. Ils avaient même un vizir à leur tête. Un vizir dont la tâche est beaucoup plus simple comparativement à celles plus ardues de ses collègues. Le Souverain en était satisfait ; une satisfaction souvent altérée cependant pas l’incapacité d’un autre vizir, chargé des affaires personnelles du Roi. Son activité consistait à rechercher à travers le Royaume toute chose qui plairait au Souverain et enrichirait ses collections. Il y en avait celle des objets rares et de valeur et dont on excluait tout ce qui  ternissait l’histoire du pays. Il y en avait celle qui regroupe les plus beaux animaux et dont on chassait les bêtes qui devenaient venimeuses. Il y avait le harem bouillant de très belles femmes, et que le temps nettoyait de toute femelle qui se laissait, par inattention ou par fatalité, piétiner par la vieillesse. Enfin, il n’est pas sage d’oublier les sages : le cercle des plus éminents savants dont on appelait à des fonctions insignifiantes ceux qui s’avèrent avares de leur savoir pour le bien du Souverain.
Comme elle était ardue, la tâche du vizir des affaires personnelles du Roi ! Il devait dénicher l’objet exceptionnel, l’animal, la femme, le savant… ses échecs répétés lui avaient valu tant de colère de la part du Roi, sous les yeux amusés de ses collègues qui trouvaient de quoi atténuer leur jalousie.
Blessé, le vizir décida d’entamer une tournée à l’intérieur du pays, et ne revenir qu’avec une belle surprise pour le Roi.

Il traversait une contrée qui semblait déserte quand son cheval s’arrêta tout d’un coup. Il connaissait l’animal : la bête hennissait pour le prévenir d’un danger imminent, s’arrêtait pour l’avertir de l’existence de l’exceptionnel aux alentours. Grâce à cette bête, il bénéficia maintes fois des éloges du Roi. Mais les rois voient vite s’éteindre les bienfaits des autres.
N’ayant jamais douté du flair de son cheval, le vizir mit pied à terre. Il scruta les parages. Au sommet de la plus haute des montagnes se dressait une tente. Une tente toute blanche. « Allons voir, pensa-t-il, il y a peut-être là un objet qui intéresserait le Roi ».
Il laissa sa monture au pied de la montagne et commença à grimper. Le chemin était dur. Il y avait rencontré beaucoup d’obstacles, mais son désir de faire plaisir au Souverain l’aidait à avancer. Chaque fois qu’il s’approchait d’un pas de la tente, sa curiosité s’accentuait. Il rêvait d’y trouver un trésor et l’offrir à Sa Majesté. Ainsi, les autres vizirs qui se plaisaient de le voir malmené, en mourraient de jalousie…
Mais ce n’était qu’un rêve. Il ne trouva rien sous la tente. Il n’y avait ni lit, ni eau, ni feu ; pas de traces de vie. Le sol de l’intérieur ressemblait à celui du dehors, ce qui fit penser au vizir que la tente venait juste d’être dressée. On ne l’avait pas encore balayée des pierres. « Le propriétaire, pensait le vizir, va certainement revenir, je l’attends ici ».
Et il attendit.
De toutes les femmes qui défilèrent au harem, il n’avait jamais vu une aussi belle et élégante que celle qui se trouva, comme tombée du ciel, en face de lui. C’était d’une telle créature qu’il rêvait. Son imagination lui montra combien de fois ces mêmes traits, cette même beauté, ce même charme… Cette même femme. Mais, d’une façon fugitive qui ne lui permettait pas d’en pétrir un véritable corps et l’offrir en précieux présent au Sultan.
Ce jour fut différent. Il lui fut épargné l’effort de concrétiser l’image dont il rêvait. La femme était là, en face de lui. En chair et en os. Palpable. Ce n’était pas une hallucination. 

                                                                          Par Bachirrr

                                                                                                               A suivre...

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