jeudi 15 novembre 2018

Adila (3 et fin)



...Je sais qu’il vous inquiète autant que moi. Il est temps de le sauver de sa folie. Préparons-nous pour aller à sa recherche. Maintenant ». 

Le roi scrute la montagne, le cœur débordant de joie. Elle est là-haut, son rêve. Il risqua un coup d’œil derrière lui. Rien. « Oh ! Si seulement personne ne m’a suivi ! Je me retrouverai seul avec elle. Adila sera contente quand elle saura que j’ai exécuté tous ses ordres. Elle n’hésitera pas à m’épouser. Si seulement le vizir qui l’a rencontrée le premier jour ne parle pas aux autres. Il m’a promis de ne rien révéler de cette histoire, mais je m’en doute. J’ai constaté ces derniers temps que toute la cour se méfie de moi. Pourtant je n’ai rien fait de mal. Au contraire, en obéissant à Adila, je me suis senti réconforté. Réconforté pas la joie des mères dont les enfants ont été libérés, par celle des propriétaires qui ont recouvré leurs biens, et par celle qu’exhalent les doux regards des simples citoyens confiants et admirateurs. Toute cette satisfaction, ce contentement jamais éprouvé avant, est le fruit de mon obéissance à Adila. Seulement mon obéissance. Si je l’épouse, je serai l’homme le plus heureux au monde ».
« La voilà sa tente blanche au sommet de la montagne. Adila est donc encore là. Elle m’attend. Elle a tenu sa promesse. Mais pourquoi mon cheval s’arrête-t-il en un si bon chemin ? Allez sale bête ! Avance ! »
L’animal ne bougea pas. Le sultan descendit de sa monture et continua sa marche. Il arriva à la montagne, grimpa, grimpa ; son escalade s’avéra plus simple que l’autre fois, quand il était venu, accompagné de son vizir des affaires personnelles. Il ne rencontra plus d’obstacles. Adila apparut, illumina le paysage de son rayonnement. Elle ouvrit grand les bras pour accueillir le Roi. Il se hâta, arriva, se pressa de lui annoncer :
— J’ai exécuté tout ce…
— Je sais, je sais, repose-toi maintenant !
Elle lui tend la main et lui dit, d’une voix où se mêlent respect et pudeur :
— O ! Roi ! Vous m’avez méritée !
Le sultan, ne pouvant pas soutenir le charmant regard de la jeune femme, baissa les yeux. Il ne toucha même pas la belle et tendre main qui lui était tendue. Il ne sut tout d’abord expliquer la faiblesse qui le gagnait. Mais vite il réalisa que ce n’était ni une faiblesse ni une timidité. C’était d'une force extraordinaire qu’il s’était senti envahi en arrivant chez Adila. Une force qui changea tout d’un coup son but, son espoir, son rêve. Il éprouva un désir tout autre. Le désir de se soustraire à sa petitesse, à son insignifiance aux yeux d’Adila. Il n’admettait pas que ses sacrifices aboutiraient à une aventure ordinaire et passagère comme ce fut le cas, maintes fois, avec d’autres femmes. Cette fois, c’était différent. Entièrement différent. Ne le tentaient plus ni cette main angélique qu’Adila  lui offrait ni la sveltesse irrésistible de son corps. Il rêvait de faire de toute cette beauté, de tout ce charme, un autre sacrifice. Il aspirait à acquérir la vertu d’être un homme juste. Un homme libre. Il avait goûté à un bout de cette justice, à un bout de cette liberté, en prononçant son discours historique. Il en est encore ivre.
— Vous m’avez méritée, répéta Adila, je vous accepte comme époux, c’est ce que je vous ai promis.
— Vous croyez qu’il est juste qu’un vieil homme comme moi, ruiné par le temps, mérite une femme si tendre, plus jeune que ma propre fille ?
— Mais je dois tenir ma promesse, je dois vous récompenser pour tout ce que vous avez fait pour moi.
— j’ai déjà obtenu une forte récompense. Votre seul amour me comble, vous êtes libre de votre autre promesse.
-- Regardez ! Regardez ! l’interrompit-elle.

Le souverain se retourna. Au pied de la montagne, toute une armée les observait. De loin, il reconnut la Reine et quelques vizirs. Il réalisa alors qu’il avait été suivi. 
Ils agitaient les bras, ils criaient. Ils lui demandaient de descendre. Ils le lui ordonnaient.
— Qu’est ce qu’ils veulent à votre avis ? demanda-t-il à Adila.
— Tout cela est de ma faute, ils ont l’intention de vous emprisonner pour que vous ne reveniez plus chez moi.
— M’emprisonner ? Mais je suis le Roi !
— Vous étiez le Roi ; vous ne l’êtes plus maintenant. Votre couronne a commencé à fondre depuis que vous m’aviez obéie. Je sais, vous êtes convaincu que vous n’aviez agi que pour le bien de votre peuple. Vous rêviez d’instaurer l’égalité et la paix. Vous êtes satisfait des premières mesures que vous aviez prises. Vous croyez que tout le monde aime la justice. Vous allez vous apercevoir dans un moment que vous vous trompiez. Vous comprendrez quand ils arriveront ici. Regardez comme ils suent pour vous atteindre. Votre femme qui n’avait certainement jamais escaladé une montagne se trouve au premier rang, suivie de vos frères, de vos proches, des vizirs… Tout ce monde n’éprouve pas la satisfaction qui vous comble. Ils ne tolèrent pas que le simple citoyen ait les mêmes droits qu’eux… ils tenteront de vous faire revenir sur la façon dont vous comptez gérer le pays.
— Non, s’écria le Roi, ça ? Jamais !
— Alors, préparez-vous à les affronter ! Moi, je dois m’éclipser.
— Vous m’abandonnez ?
— Non ! Si vous arrivez à les vaincre, je vous rejoindrai. Si vous êtes vaincu, rejoignez-moi, je suis partout.

Le Roi se retrouva encerclé. La Reine s’avança vers lui, le fixa, puis s’adressa aux vizirs :
— Ne vous ai-je pas dit qu’il est fou ? Attention ! Il pourrait être dangereux, il faut le ligoter !
Le Sultan, offensé par les propos de sa femme, se défendit :
— C’est elle qui est folle ! Regardez ses yeux, vous y verrez le diable ! Je vous ordonne de regagner le Palais, je vous rejoindrai le moment venu.
Tout le monde éclata de rire.
— Calmez-vous ! intervint le vizir chargé de l’ordre et la sécurité, la Reine a raison. Il faut le ligoter. Toi, toi et toi…

Trois hommes de forte corpulence se ruèrent sur le Roi qui les voyant venir dégaina son épée ; mais avant même de s’en servir, il se sentit transpercé à plusieurs endroits du corps. La Reine n’eut alors plus besoin de le ligoter pour l’immobiliser.

Elle s’approcha de lui, et de son pied le retourna. Il ne s’était pas encore éteint. Il articula :
— Morts, vous l’êtes depuis longtemps, c’est en vous quittant que j’existerai…
Et il rendit l’âme. Mais il souriait encore. Un sourire d’un charme extraordinaire s’était figé sur sa bouche. Comme une moquerie. Le sourire triomphant blessait profondément chaque cœur haineux qui se penchait sur le cadavre. La Reine fut la première cible touchée. Furieuse, elle ordonna :
— Qu’on le défigure !
Son ordre fut immédiatement exécuté. Le visage du Sultan ne se distinguait plus. Mais le sourire triomphant persistait. Il s’était gravé ineffaçablement sur la mémoire des présents et s’amusait d’un moment à l’autre à remuer leurs consciences.

La caravane guidée par la Reine rentrait au palais. Le vizir des affaires personnelles fermait la marche. Il s’était arrangé pour se retrouver au dernier rang ; parfois il se laissait distancer, il craignait qu’on sache que la disparition du Roi l’attristait. Il arrivait à peine à taire son chagrin. Lui seul savait que le Sultan avait sacrifié sa vie pour une cause juste. Adila est une créature qui anime celui qui la rencontre d’une volonté, d’une passion de changer le monde ou le quitter.
Son cheval s’arrêta. Il connaît bien la bête. Il scrute les alentours. Au sommet de la montagne, Adila rayonnait; un flambeau à la main ; à ses côtés, le Roi continuait à sourire.
                                                                                                         Par Bachirrr
 
  Nb : le mot "Adila" est un dérivé du mot arabe"Adala " qui signifie "justice". Une précision pour avoir une idée de ce que symbolise le personnage "Adila"                                                                                 

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