vendredi 29 juin 2018

Enfants


Enfants tout petits enfants 
Un vent violent soufflait 
Il pleuvait à torrents 
Mais chacun de nous 
Vivait en l’autre le printemps
Te souviens-tu ?

Enfants, nos sourires, notre pureté 
Nos cris embêtants, nos plaisanteries… 
Te souviens-tu ?

Nous ne pouvions freiner le temps 
Le tromper 
L’empêcher de dresser le passé

Enfants, nous étions une histoire

La fin d’un monde commença 
Et ton vide m’emplit 
Commença ma chanson 
Habillée de pleurs
Je chante : « Enfants tout petits enfants » 
D’un ton qui me ressuscite

Chante là-bas 
Dans ta vie d’adulte 
Tu sentiras 
L’immensité de la perte.

                              Par Bachirrr

lundi 25 juin 2018

L'aube



Tu évoques l’aube au moment où j’y pense. Ne crains rien, le jour fermera l’œil et ne se lèvera qu’après la fin de notre rêve.

L’aube, ce moment que nous passons dans les ventres de nos mères quelques jours avant de voir le jour. 

L’aube, ce souvenir immédiat auquel on aime revenir quand nous repousse et nous blesse l’exagéré éclat matinal.

L’aube, cet abandon du champ de bataille par la nuit vaincue qui reviendra le soir, fortifiée ; enterrer le soleil.

L’aube, premiers chants des oiseaux ; rosée de cristal sur les herbes, retournements machinaux des paresseux dans leurs lits défaits.

Tu évoques l’aube… à quelques heures de l’aube. Ne crains rien, nous enfermerons en nous le soleil pour qu’il fasse toujours nuit autour de nous…

                                                                                                                         Par Bachirrr

jeudi 21 juin 2018

Promesse

















De ma mémoire jamais tu ne t'effaceras
Eve le temps témoignera de ma promesse
Et tout jour que Dieu fera ne passera
Sans que m'effleure la tiédeur de ta tendresse

Déjà ta main de fée me couvre de caresses
Déjà mon bras de mort se déplie et t'enlace
Déjà nous engloutit une infinie ivresse
Félicité ne peut fuir voici ses traces

Jetons-nous-y c'est notre lit de paresse
Dormons le sommeil bienveillant nous accueille
N'ouvrons pas les yeux la lumière nous blesse
Et nous soustrait à nos délices et merveilles

Kidnappons la nuit avant que rêve ne cesse
Repoussons très loin le moment du réveil
Que la nuit avorte avant que soleil ne naisse
Et nous prive d'une douceur sans pareille.


                                        Par Bachirrr



lundi 18 juin 2018

Kheira


A chaque fête de la fin du ramadan, j’ai l’impression que j’entame une nouvelle étape de ma vie. Parfois, il résulte de ce changement une amélioration de l’état de ma personne ; et parfois, une détérioration. Je me réjouis lorsqu’il me semble que je suis la bonne voie de l’esprit et du bon sens. Je m’inquiète lorsque la passion arrive à voiler et aveugler ma raison, à m’encourager à avancer dans un sens qui m’éloigne du chemin de la sagesse et du véritable bonheur. Mais bien qu’aveugle, je m’y aventure. 
La fête de cette année m’a mis au juste milieu, une situation fragile. Une brise, une petite brise risque de me balancer du mauvais côté. J’ai la conviction cependant que seuls le bien et l’honnêteté prennent le dessus ; parfois, cela ne semble pas évident, mais quand on cesse de remuer la bouteille, l’huile prend toujours le dessus sur l’eau. J’aime mieux l’eau, pour sa pureté, mais les lois de la nature ont voulu que je lui préfère dans ce cas un autre liquide. Et si le destin décide un jour de m’offrir aux passions, il réussira certes, à me priver de mes branches, mais je demeurerai debout et bien enraciné. Je garderai au fond de moi le premier noyau autour duquel tout le reste de ma personne était venu se constituer.
Comme à chaque fête, je dois immanquablement rendre visite à Kheira. Je le fais depuis dix-neuf ans. Lorsque j’arrive chez elle, elle m’accueille en ouvrant tout grand les bras, me serre fortement et m’embrasse à m’étouffer. Je me sens comme un enfant, je n’ai jamais goûté à une chaleur humaine aussi intense, aussi pénétrante. Une fois dans sa chambre, elle m’embrasse encore comme pour faire témoigner chaque coin de la maison de ma présence. Et cela ne finit pas : de temps en temps, elle passe son bras autour de mon cou et m’attire fortement vers elle. Je rougis, je me sens gêné et me demande si je mérite toute cette tendresse.
— Je savais que tu allais venir, ils m’ont dit que tu m’avais oubliée, mais mon cœur me disait que tu allais venir !
Je lui apporte du henné, du savon, du parfum, des gâteaux et d’autres petites choses ; parfois, j’y ajoute une robe. Je lui mets dans la main une modeste somme d’argent. Elle prie pour moi de toute sa profondeur ; j’ai toujours eu la certitude que ses prières m’évitaient une multitude de malheurs. Je la quitte habituellement après le déjeuner. Elle me raccompagne jusqu’à la porte de la petite cour en m’entourant de caresses, et comme toujours elle me lance : « Je t’attendrai l’année prochaine, si Dieu le veut ! » et je réponds : « Si Dieu le veut ».
Dix-neuf ans, dix-neuf fois ; la même scène se répète. Quel sens aurait la fête pour moi sans cette visite ? Je dois beaucoup à cette femme : mon instruction, mon éducation, ma situation actuelle et surtout, cette tendresse dont elle me nourrissait. A l’époque où j’ai réussi à passer avec succès mon examen de sixième, il n’y avait pas de collège d’enseignement secondaire dans notre douar ; je ne pouvais donc pas poursuivre mes études. Il n’y avait pas de transport régulier pour rejoindre facilement le village ; ni d’internat au collège. Mon grand-père, qui faisait tout pour me voir réussir, me plaça en pension chez cette femme avec qui il avait grandi et dont il connaissait certainement les valeurs. J’ai passé quatre années chez elle sans me sentir véritablement étranger à sa famille que je n’avais jamais connue auparavant. Une famille pauvre, très pauvre même ; le mari se levait tôt le matin pour aller à la boulangerie apporter gratuitement le gros pain qu’un grand bienfaiteur offrait quotidiennement à chaque pauvre du village. Cette pauvreté ne laissait aucune trace sur le visage de Kheira et ne paraissait nullement l’inquiéter ; la chaleur du foyer cicatrisait vite les plaies et chassait les traits de la misère.
Cette femme grandiose taisait mes bêtises et me protégeait contre la colère de son mari. C’était très difficile pour lui de se taire quand j’avais mes devoirs scolaires à faire et que je devais laisser la bougie allumée jusqu’à une heure tardive de la nuit. Une fois par semaine, j’allais au cinéma, j’en étais fou. Quand je rentrais tard, Kheira veillait jusqu’à mon retour, pour m’ouvrir de l’intérieur la porte de la cour. J’avais certains défauts que nulle autre femme, à l’exception de ma mère, ne saurait tolérer. Elle les a toujours supportés. Jusqu’à présent, je suis incapable de m’expliquer la raison pour laquelle elle m’aimait tant. Parfois, je me hasarde à en chercher la cause. Puis, j’y renonce. Vite, j’y renonce !
Elle avait à cette époque soixante-dix ans environ, mais elle gardait sa vivacité et sa vigueur. Blanche, les yeux verts ; pleine de patience. « Ce devait être une fée quand elle était jeune fille », pensais-je souvent.
Comme à chaque fête, je m’apprêtais à lui rendre visite. J’avais tout acheté. Mais voilà que je rencontrai un ami qui n’allait certainement pas me lâcher facilement. Habituellement, je ne dis jamais où je vais quand il s’agit de ce genre de visites. Je n’en parle à personne, je crains qu’un mot ; qu’un conseil fasse trébucher mon cœur ou alourdir ses pas dans le chemin qui le mène à une tendresse, à un amour semblable à une douce source où il s’abreuvait chaque année. Mais cet ami me connaissait bien et avait sans doute deviné que j’avais l’intention de me libérer de lui. Il me lança alors :
— Kheira est morte la semaine dernière.
Si je savais que la mort me faisait la course, j’aurais hâté le pas. Aucune larme ne jaillit de mes yeux, je ne voulais pas me vider d’un seul jet de mon chagrin ; et pourquoi ne pas le vivre, réparti sur le restant de mes jours ? Ma douleur était tellement douleur qu’elle sentait la douceur, obéissant à cette loi qui fait que chaque chose arrivant à son extrême se transforme en contraire. Je restais là, debout, mon sac à la main. Il y avait du henné, du savon, du parfum, des gâteaux et d’autres petites choses...


jeudi 14 juin 2018

Demain c'est la Fête !




Demain c’est la fête ! Un jour de joie, de réconciliation, d’embrassades. Nos enfants sortiront vêtus de leurs plus beaux habits ; les membres éparpillés se regroupent en famille. Les villes, les villages, les douars ne seront que jeu et joie. Aidkoum Mabrouk ! 

Il y aura peut-être moins de meurtres, moins de vols, moins de mensonges. Un jour modèle de ce que nous devons vivre toute l’année. Aidkoum Mabrouk ! 

Demain, n’oublions pas les démunis qui vivent ce jour dans la gêne ; n’oublions pas les gens que la maladie cloue sur les lits des hôpitaux. N’oublions pas les peuples qui se retrouvent empêchés par les deuils de fêter amplement ce jour. N’oublions pas les orphelins qui, l’année passée seulement, embrassaient leurs pères ou leurs mères à cette occasion. Si nous sommes dans l’impossibilité, pour une raison ou une autre, de les aider directement, c’est le cas de la plupart ; soutenons-les en pensant à eux, en modérant notre joie. En insinuant un peu de leurs tristesses, de leurs chagrins, de leurs souffrances, dans nos sourires, dans nos regards, dans nos chants. Aidkoum Mabrouk ! 

Demain c’est la fête ! Pardonnons à ceux qui nous ont offensés sous l’effet de la colère et qui par fierté ne nous ont pas demandé des excuses. Pardonnons aux gens dont on a la certitude qu’ils ne reviendront pas envenimer notre vie. Le pardon est la pire des punitions pour ceux qui ont de la conscience. Aidkoum Mabrouk ! 

Demain c’est la fête ! Nourrissons l’espoir de voir un monde meilleur, où il y aura plus de paix que de guerre, plus d’amour que de haine ; où tous les êtres humains se sentiront comme frères et sœurs, et œuvreront à améliorer la vie humaine. Il est vrai, cela semble utopique, car les différences donnent naissance à chaque fois à de nouvelles confrontations, mais il existe partout en ce monde des femmes et des hommes qui sont au-dessus de ces différences. Ils constituent peut-être le noyau humain de l’avenir auquel chacun de nous doit adhérer. 

Aidkoum Mabrouk ! 
                                                                                                                      Par Bachirrr

lundi 11 juin 2018

La mendiante



Toutes les salles d’attente des médecins se ressemblent. Des croquis sur les murs me rappellent les séances des sciences naturelles au lycée, que je trouvais inutiles. Des revues sur la table datant de plusieurs mois voire plusieurs années, le va-et-vient incessant de l’infirmière au visage endurci par les réclamations des patients impatients et les emportements du médecin. Et puis, il y a l’attente elle-même. C’est dans cette situation que je me suis retrouvé aujourd’hui. Je scrute les alentours, me heurte aux croquis; la maladie est partout, j’avoue que la crainte d’être atteint par quelque maladie inguérissable grandit à mesure que je fixe les murs. C’est pourquoi d’ailleurs je préfère baisser la tête, prendre une revue et revenir en arrière, me replonger dans le passé qui contient au moins plus de certitude. 

L’attente dure, je me mets à la fenêtre qui donne sur une rue grouillante de gens. J’y distingue une mendiante. La moitié basse de son visage est couverte d’un morceau d’étoffe noir, ce qui donne plus d’expression à son regard. Et de son tas de vêtements disparates émerge son bras squelettique au bout duquel s’ouvre une main qu’elle mouvemente pour attirer l’attention des passants. Et voilà une occupation pour moi ! Il y en a ceux qui passent indifféremment, un masque d’acier sur le visage, comme si la mendiante n’existait pas. Il y en a ceux qui s’arrêtent, se fouillent et déposent une pièce de monnaie dans sa main. En dix minutes, trois femmes se sont arrêtées…je repousse l’idée de faire une comptabilité. Et il y en a ceux qui la fixent avec un air qui me fait entrevoir de ma fenêtre des larmes aux coins de leurs yeux, et je sens que me parviennent la bonté et la pitié qui emplissent leurs cœurs ; démunis, ils lui font de la main un geste d’impuissance puis passent, l’abîme maladroitement remué par la force de ce regard qui les suppliait…« C’est ton tour ». L’infirmière placide m’arrache brusquement à ma contemplation.

Je ressors du cabinet, affaibli, amoindri, terrassé. Je passe devant la Mendiante, j’y vois une princesse. Elle n’a plus à mes yeux le visage hideux et misérable. J’ignorais toute sa richesse avant que le médecin ne me déclare mon mal…

                                                                                                                      Par Bachirrr


samedi 9 juin 2018

La venue de la vie













Est-ce un tas immense de pierres noircies 
Laissées là par quelques anciens bâtisseurs 
Que je vois poindre là-bas au levant ? 
Est-ce une foule d’aventuriers sans soucis 
S’étant déjà dépouillés de leurs malheurs 
Qui goûtent au silence du désert reposant

Est-ce les restes d’une bête géante de ce bled 
Qui se nourrissait des égarés de cette terre 
Que je vois poindre là-bas au levant ?
Est-ce un impitoyable mal sans remède

Qui l’avait surprise et prit goût à sa chair 
Est-ce une planète éteinte se relevant

Est-ce un oiseau géant qui me guette 
Aiguisant son bec sur un dur nuage 
Que je vois poindre là-bas au levant 
Est-ce l’ombre d’un ange qui s’apprête 
A escorter mon âme dans son voyage 
Et la protéger des pluies et des vents

Je suis d’âge de m’approcher de la chose 
J’ai accompli mes neuf mois de patience 
Voici ce que je voyais poindre au levant 
C’est la Vie au jour de ma naissance 
Qui me tire de mes rêves émouvants.

                                             Par Bachirrr

jeudi 7 juin 2018

Tu t'en vas?




Tu t'en vas?
N'oublie pas tes bagages
Emporte les oreillers et les draps froissés
Emporte les gémissements et les ébats
Emporte tes nuits lumineuses
Laisse mes jours s'assombrir

Tu t'en vas? 
N'oublie pas tes bagages
Emporte les vastes plages
Emporte le sable et les vagues
Emporte les peaux fermes de fraîcheur
Emporte le vent et la mer
Laisse-moi le désert

Tu t'en vas?
N'oublie pas tes bagages
Ramasse les caresses
Les verres renversés
Ramasse les ivresses
Les bougies étouffées
Les cous dévorés et les dos labourés
Emporte tes sources de douceur
Laisse mes vergers s'assécher

Tu t'en vas?
N'oublie pas tes bagages
Emporte les printemps
Les visages fixant le ciel
Les nuages regorgeant de rêves
Empoigne le soleil
Plonge-moi dans le noir

Tu t'en vas?
Tu as besoin de mystère
J'ai commis l'erreur
Je t'ai livré toutes mes profondeurs.

Par Bachirrr

Voir la version vidéo de ce poème ici 

lundi 4 juin 2018

Le nuage errant













Regarde
Regarde ce nuage errant
Que poussent les vents du Sud 

Me chasse l’avancée du désert 
Je cherche un ciel plus clément

Regarde
Ce nuage renaît tous les soirs 

Et trompant ma dépouille
J’émigre vers tes contrées 
Aux crépuscules

Regarde
Ce nuage aigle sombre
Je déplie mes ailes infinies 

J’atteins des bouts les horizons 
Il te protège de son ombre
Il pleut des larmes sur toi


Regarde
Ce nuage qui se souvient
Lui revient le bruit des ruisseaux 

Mêlé aux chants des bergères 
Humbles mais féeriques
Aux saisons des moissons


Regarde
Ce nuage qui perd son chemin 

Et qui s’il pleut demain
Se confondra à l’odeur de la terre 

Je serai inhalé par la reine
Je me promènerai en son sein.


                                          Par Bachirrr