mercredi 29 août 2018

L'homme et la femme



Pourquoi l’homme est-il attiré par la femme ? Parce que tout simplement il ne l’a pas… il ne l’a pas en lui. Il tente donc de s’approprier la passivité de la femme, sa délicatesse, sa tendresse, sa coquetterie, son plaisir de se faire protéger… il désire posséder ce qui s’arrondit en elle aux endroits où le corps de l’homme s’aplatit, de ce qui se creuse en elle à l’endroit où pousse en lui ce qui l’embarrasse.
Il est donc de la nature de l’homme de chercher perpétuellement ce qu’il désire et ne possède pas. Il aspire à être parfait, avoir toutes les qualités. Mais les qualités qui lui manquent le plus, qui lui échappent, sont celles mêmes qui font de la femme : femme.

Pourquoi la femme est-elle séduite par l’homme ? Parce qu’elle ne possède pas la faculté de se séduire. Elle n’a pas l’homme en elle. Elle tente toujours de s’approprier l’activité de l’homme, sa brutalité, sa considération, son pouvoir de protection… elle désire posséder ce qui se dégonfle en lui aux endroits où le corps de la femme s’enfle, de ce qui se moule en lui à l’endroit où se trace en elle la déchirure.
Il est donc de la nature de la femme de chercher perpétuellement ce qu’elle désire et ne possède pas. Elle aspire à avoir toutes les qualités. Mais les qualités qui lui manquent le plus, qui lui échappent, sont celles mêmes qui font de l’homme : Homme.

En fin de compte, l’homme et la femme désirent chacun à sa façon de se réunifier et redevenir l’être unique qu’ils étaient tout au début. Et pour recouvrer leur unité première, ils se rapprochent, s’accouplent, se ressoudent, mais échouent à chaque tentative. Leurs échecs répétés se soldent par la naissance d’enfants qui grandissent et se préparent à la même mission, jusqu’à on ne sait quand… 

                                                                                                        
                                                                                                      Par Bachirrr

dimanche 19 août 2018

Hé... !




Hé... ! 
Je t’ai cueilli tout petit. On t’avait jeté à la rue. Tu tendais la main aux passants. Tu étais ordure sur le trottoir. 
Je t’ai élevé comme mon propre fils, une façon d’atténuer la peine de ne pas en avoir. Je n’ai jamais osé te choquer et, crois-moi, j’ai eu des raisons de le faire. J’avais peur cependant de te perdre, perdre la chose où se déferlait toute mon affection. 

Et voilà maintenant que tu me sautes au cou, pas pour m’embrasser. Tu m’étrangles. 
Voilà que tu me menaces, que tu prétends que tous mes biens t’appartiennent. Tu oses m’insulter, me traiter d’aliéné. Et je n’ose lever les yeux de crainte de me heurter à la perte de l’enfant tant chéri, tant adoré, qui t’habitait. 

Je n’arrive pas à croire que ces mains d’acier qui m’étouffent sont celles petites et fragiles d’autrefois qui ont durci. 
Que veux-tu que je te dise si je ne te demande pas pardon ? Pardon ! J’ai commis une erreur. Je ne t’ai appris, de la vie, que son côté tendre. Il t’est légitime donc de te révolter, d’aspirer à bien en connaître le revers. 

Lâche-moi alors ! Permets-moi de réparer le tort ! Lâche-moi que je te donne l’ultime leçon ! Je viens juste de me la rappeler. 
Regarde comme je dégaine mon arme ! Regarde comme je la pointe vers toi ! Ecoute mon ordre ! Retourne-toi, avance, vite, quitte ma terre ! N’y reviens plus ! 

Et si au crépuscule tu n’as pas encore franchi les frontières de mes champs, et que tu entends l’appel à la prière du coucher, et qu’il reste en toi un brin de foi ; fais la prière ! Dieu m’interdit de t’en empêcher. Mais garde-toi à la fin de ne pas passer la main sur ton front ! Car, si par hasard, un seul grain de sable de ma terre y reste collé, je n’aurai plus la patience de ne pas te l’ôter, me servant de mon arme. 
Et sache bien qu’une balle partie de l’éclatement d’un cœur ne se trompe guère de cible. 



Hé... ! 
Si jamais il revenait prendre refuge en toi, le gamin, montre-lui le chemin du retour ! 

                                                                                                         Par Bachirrr

dimanche 12 août 2018

La vendeuse de lapins





Hasnia ne sait rien de ce qui se passe au-delà où se courbe et tombe le ciel. Au-delà de l’horizon, le monde n’existe pas pour elle. Pas un vrai monde là bas, pas un monde sérieux. Mais à l’intérieur de son territoire, elle connaît presque tout, les noms de tous les oiseaux qui y vivent, leurs cris, ceux qui préfèrent faire leurs nids sur les arbres, ceux qui préfèrent le sol ; ceux qui tombent vite dans les pièges, les méfiants. Elle déchiffre le langage des autres bêtes, elle comprend s’ils ont faim ou soif. Elle se souvient des traces profondes des haches sur les troncs d’arbres des alentours, elle devine où se trouve un ver de terre et le déterre aisément pour s’en servir d’appât dans ses pièges.

    Et des humains, hormis ses parents et les voisins, elle n’en connaît presque rien. Elle a vécu dans la misère depuis sa naissance, elle ne s’en rendait pas vraiment compte parce qu’elle n’a jamais connu la richesse, sa peine aurait été plus dure. Elle ne pouvait pas bien faire la différence. Mais parfois, la misère sait se faire ressentir sans avoir besoin d’un sens opposé pour bien la définir.

    Elle parle à ses lapins comme s’ils l’entendaient : achète le mâle et la femelle avec des économies accumulées au fil des mois voire des années, les accouple, les assiste au moment des naissances et regarde les petits grandir... puis les vend. Avant, les voisins les achetaient à un prix bas, elle sentait qu’ils ne compensaient pas son labeur. Elle n’avait pas cependant d’autres choix. Depuis un peu plus de trois ans, elle ne vend ses lapins qu’à Miloud. Il habite dans un autre douar, du côté face de l’horizon. Le hasard le guida un jour vers elle. Elle n’avait que quinze ans. Elle gardait les moutons, elle le voyait venir de loin, de l’endroit où surgit tous les jours le soleil. Il lui demandait avec un air indifférent s’il n’y avait pas des gens qui vendent des poules, des canards ou d’autres bêtes. Elle courut lui apporter ses lapins.

    Miloud, au bord de la trentaine, démuni par un diabète qui l’atteignit en bas âge, ne sachant que faire, achète et revend les poules et les lapins; et tout ce qui s’écoule facilement dans les souks hebdomadaires. Avant, il travaillait comme ouvrier pendant les vendanges, manœuvre avec les maçons. Mais il se blessait parfois, sa maladie compliquait une simple égratignure, sa mère le força alors à rester à la maison en partageant avec lui ce qui reste de la pension de retraite du père décédé il y a dix ans. Zohra n’arrive pas à se disculper de sa responsabilité dans la maladie de son fils. Elle se reproche toujours de n’avoir pu convaincre son mari d’emmener l’enfant avec eux à une cérémonie de mariage d’un parent : il courrait derrière la voiture jusqu’à ce qu’il s’évanouit et ne reprit connaissance qu’à l’hôpital. Sa maladie se déclara… ou naquit. 

    Au Souk du lundi, il achète et revend sur place, car c’est un petit marché qui se disperse tôt et qui ne nécessite pas autant de préparation que celui du vendredi. Au cours de la semaine, il parcourt les douars, s’informe des gens qui ont des petites bêtes à vendre ; ses fournisseurs habituels lui épargnent le déplacement en l’appelant sur son portable. Il consacre le jeudi, dernier jour avant l’important souk du vendredi, à Hasnia. Au fil des temps, il a pris goût à cette rencontre, il ne marchande plus avec elle, lui le négociateur tenace, l’implacable. Elle l’avait adouci avec sa confiance en lui. Elle ne lui vend plus, mais le charge plutôt d’écouler ses lapins élevés par elle-même ou collectés aux environs, et gérer ses petites affaires moyennant un intérêt commun. Elle le chargea de lui acheter un « Grellou » : surnom attribué à un téléphone portable en forme de cafard, dont la noirceur, symbole  d’obscurité et de malheur, ne lui procurera que joie et bonheur. Hasnia le dissimule dans sa poitrine naissante craignant que ses frères ne se doutent de son existence, le portable n’étant pas encore autorisé pour toutes les filles du Douar. Elle le met toujours en mode vibreur et se plaît quand Miloud l’appelle, le chatouillement produit parcourt tout son corps, tout son être. Elle a grossi ces derniers mois, elle se sent plus forte quoiqu’elle vit misérablement. Elle ne se doute certainement pas qu’à l’âge du printemps Dieu nous fait un cadeau de lui, défiant les règles de l’alimentation. Les rondeurs, les duvets et les barbiches nous sont gratuitement offerts. 

    Les eucalyptus centenaires qui bordent la maison de Hasnia depuis une éternité et qui ont vu défiler ses aïeux attendent le jeudi, jour où Miloud vient prendre les lapins. Les eucalyptus abritent de leurs ombres la rencontre du jeune couple. Les oiseaux y sont perchés pour y apporter leur chant. Une mélodie naturelle. Même des corbeaux rodent sur les proches collines comme pour semer la crainte qui fait ressentir l’interdit, mais encourage à le braver. Miloud n’est jamais aussi tendre qu’en ce moment… il ne connaissait que les femelles. Mais quand Hasnia, après tant de gestes, de regards, de sourires révélateurs, vint un jour se réfugier en lui, fuyant sa solitude et sa misère, piétinant les tabous sans aucun remords, il changea. Il se sentit plus homme en l’enveloppant dans ses bras. Plus responsable. Il s’en veut d’avoir ressenti des larmes  qui jaillissaient de ses tréfonds, lui qui ne pleure plus depuis longtemps. Il craignit un moment qu’elle y voie un signe de faiblesse. Il fut sauvé : ses larmes se mêlèrent à celles de Hasnia ; plus abondantes ; s’y perdirent. Les lapins oubliant leur cage et nullement objet de marchandage; les contemplaient… Le soleil écourtant le jour alla se coucher plutôt que d’ordinaire comme pour faire l’obscurité autour d’eux leur épargnant les yeux des curieux, puis revenir discrètement les illuminer de l’intérieur et emplir leurs cœurs de chaleur.

    Si seulement tante Zohra m’accepte comme bru, ne cesse d’espérer Hasnia durant les jours qui suivirent. Elle n’y croyait pas : sa sœur aînée s’était enfuie il y a quelques années avec une personne qu’elle aimait. Le temps n’est pas encore arrivé à effacer le déshonneur de la famille. Toute la famille. Miloud entendit un jour sa mère et sa sœur discuter au sujet de la famille de Hasnia. Comme si elles avaient eu vent de ses intentions. Leurs mots résonnaient comme le bruit d’une massue détruisant son rêve.

    Il ne rêve pas de vivre comme tous les gens, il le sait, sa maladie l’empêcherait. Il veut seulement avoir un enfant ; ses moyens organiques d’en faire continuent de s’affaiblir et ses chances de s’amincir. Les consultations et les traitements médicaux n’ont donné aucun résultat. La substance qui véhicule la vie de l’homme à la femme est complètement absente au moment où elle doit se manifester, aucune goutte d’espoir ne s’éjecte de lui… son désir naturel à se perpétuer à travers sa progéniture ne serait pas assouvi, et il risque de mourir… définitivement. Il a fait part de ses craintes presque certaines à Hasnia ; elle dit l’accepter comme il est; elle désire seulement changer de vie, n’importe comment, comme si elle croit qu’elle se trouve tout au fond et tout ce qui adviendra ne sera que meilleur. La volonté de Dieu est au-dessus de tout, pense-t-elle, et elle n’a rien fait de mal pour qu’il la prive d’avoir des enfants. Miloud voit donc en elle la seule femme qui pourra l’assister, elle est de plus en plus proche de lui. Ils se contactent tous les soirs par téléphone. L’absence n’est plus supportable. Parfois ils se fâchent et leurs fiertés les empêchent de se réconcilier, mais tous les murs s’effondrent devant leur ardent désir de revenir l’un à l’autre. Cependant rien ne semble faire fléchir l’avis de la mère de Miloud qui ne cherche qu’à vivre un bout de vie dont il avait entamé en aménageant sa chambre… il y passe ses nuits à visionner des films de danses et de chants qu’il apprécie tant pour garder ce qui reste en lui de force, et se fertiliser pour que repousse les germes endormis en son sein depuis des saisons.

    Demain c’est le souk du vendredi, il se lèvera à l’aube comme d’habitude. Il fera la prière à haute voix comme pour punir ses frères paresseux. Il boira son café sans se soucier de la quantité de sucre qu’il contient, comme pour braver son diabète ; se piquera en y mettant la dose d’insuline qu’il faut pour ramener à l’ordre sa maladie. Il courra à l’aurore après les coqs, les poules, les canards et les autres petites bêtes destinés à la vente. Il fera tout pour que tout le monde se réveille, s’énerve, sache qu’il s’est élevé de bon matin et qu’il se prépare pour aller au souk. Les lapins de Hasnia se tairont, se feront docilement prendre par les oreilles pour être mis dans les caisses, sachant certainement qu’elles sont entre de tendres mains. Les poules lanceront comme à l’accoutumée des cris stridents produits par leur ignorance d’avoir des ailes sans pouvoir voler... 



Après la ferme opposition de la famille de Miloud, Hasnia s’est mariée avec un autre homme et a donné naissance à plusieurs enfants ; Miloud s’est marié avec une autre femme et continue à se battre vainement pour en avoir.

                                                                                                     
                                                                                            Par Bachirrr

mardi 7 août 2018

La crampe



Après le sortir du travail, je préfère souvent aller regarder la mer. J’ai l’impression que j’ai en face le néant et que le monde ordinaire est derrière moi. Je me rends  toujours au même endroit, sur les Falaises, là où j’ai habité pendant dix ans, là où je fus habité par la passion de la pêche.

L’eau se trouve à cent mètres au-dessous. Je connais tous les rochers : Pédregal, Piedra jardina, Piedra Plana, Barco, Ferrati, El Hadjra Touila, El Hadjra El Alia, Piedra Lanchova, etc. 

Je connais tous les vents : Al gharbi, Echergui, El bahri, Terra, Misserghine, Canastel, etc.  Je connais les humeurs des poissons : le sar qui adore la houle, la daurade qui se plaît dans les eaux paisibles et les ports, la saupe, cet herbivore qui bouillonne près des rochers verdâtres à la tombée de la nuit, etc.

Et c’est de là que j’assiste aux couchers, j’aime regarder le soleil disparaître derrière la montagne en hiver, et s’éteindre en pleine mer en été.  Les pêcheurs qui semblent vieillir tôt, descendent et montent empruntant un sentier serpentant le flanc  de la falaise. Que de fois, ai-je pris le même chemin !

Je reviens depuis plusieurs jours sans pouvoir accéder à cet endroit. Je dois pour y parvenir traverser une autoroute où la circulation est abondante. Mon mal de jambes m’en empêche, la maudite crampe risque de me coincer en pleine traversée. Je reste un bon moment de ce côté... de ce coté prison... de ce coté privant; frustré et hésitant, la crainte d’être heurté par une voiture dépasse la tentation de voir mon bout de mer et m'en abreuver. Je quitte tristement les lieux, réalisant que pour être heureux il suffit d’être en bonne santé. 

                                                                                            Par Bachirrr

vendredi 3 août 2018

La révolte de la fleur




   

Mes sens me conduisent vers ta prairie
Fleur je me pose sur toi en abeille
Tu ouvres les bras et tu m’accueilles
Je me laisse fondre dans ton univers
Je caresse ton pistil
Je m’abreuve de ton nectar
Je m’en enivre

Un maudit vent se lève
Violemment nous balance
J’enfonce par mégarde mon aiguillon
Mon venin bête te parcourt
Te révolte
Tu t’agites violemment
Et je suis rejeté
Et se brise ma jarre de miel
Et se répand ma dignité
Les charognards accourent
Je chasse les fourmis qui m’entourent
D’un geste hasardeux de mes ailes

Et revient le calme
Et tu te refermes
Et abattu je regagne ma prison

Dans le bourdonnement de la ruche
Je rêve de revenir à toi
Quand s’oublieront les torts
Dissimulé cette fois
Dilué dans la rosée de l’aurore.

                                             Par Bachirrr