mardi 27 novembre 2018

Tu reviens !



Tu reviens ! Il m’a semblé que l’étoile s’était éteinte. 
J’ai soufflé, soufflé, mais l’astre se trouvait si loin que je ne pouvais le raviver. 

Tu reviens ! J’ai scruté le ciel de mes yeux pâles de désespoir. J’attendais l’apparition de ma modeste étoile, mais je vis poindre la lune éclatante, aveuglante comme une réalité dissipant un rêve. 

Tu reviens ! J’ai enduré les plaintes incessantes de mon abîme. Ton absence infinie a dévoré la patience que j’avais comme remède. Le mal, cette douce souffrance ; paradoxe ; a entamé mon existence pour me préparer à ma fin. 

Tu reviens ! Je t’ai vue t’évader des replis de ma mémoire désordonnée. J’habillais ton âme nue des fantaisies de mon esprit pour donner une image palpable à ton corps. 

Tu reviens ! J’ai passé la main sur mon front ; aucune goutte de sueur. Me manquait la chaleur de tes révoltes. Me glaçait la froideur d’une tombe oubliée. 

Tu reviens ! J’ai commencé à apprivoiser ma solitude. Mais de temps en temps mes tréfonds me fredonnaient une mélodie qui me faisait piaffer. C’était une pincée d’espoir que je dissimulais à ma raison, ô combien véhémente ! 

                                                                                      Par Bachirrr

jeudi 15 novembre 2018

Adila (3 et fin)



...Je sais qu’il vous inquiète autant que moi. Il est temps de le sauver de sa folie. Préparons-nous pour aller à sa recherche. Maintenant ». 

Le roi scrute la montagne, le cœur débordant de joie. Elle est là-haut, son rêve. Il risqua un coup d’œil derrière lui. Rien. « Oh ! Si seulement personne ne m’a suivi ! Je me retrouverai seul avec elle. Adila sera contente quand elle saura que j’ai exécuté tous ses ordres. Elle n’hésitera pas à m’épouser. Si seulement le vizir qui l’a rencontrée le premier jour ne parle pas aux autres. Il m’a promis de ne rien révéler de cette histoire, mais je m’en doute. J’ai constaté ces derniers temps que toute la cour se méfie de moi. Pourtant je n’ai rien fait de mal. Au contraire, en obéissant à Adila, je me suis senti réconforté. Réconforté pas la joie des mères dont les enfants ont été libérés, par celle des propriétaires qui ont recouvré leurs biens, et par celle qu’exhalent les doux regards des simples citoyens confiants et admirateurs. Toute cette satisfaction, ce contentement jamais éprouvé avant, est le fruit de mon obéissance à Adila. Seulement mon obéissance. Si je l’épouse, je serai l’homme le plus heureux au monde ».
« La voilà sa tente blanche au sommet de la montagne. Adila est donc encore là. Elle m’attend. Elle a tenu sa promesse. Mais pourquoi mon cheval s’arrête-t-il en un si bon chemin ? Allez sale bête ! Avance ! »
L’animal ne bougea pas. Le sultan descendit de sa monture et continua sa marche. Il arriva à la montagne, grimpa, grimpa ; son escalade s’avéra plus simple que l’autre fois, quand il était venu, accompagné de son vizir des affaires personnelles. Il ne rencontra plus d’obstacles. Adila apparut, illumina le paysage de son rayonnement. Elle ouvrit grand les bras pour accueillir le Roi. Il se hâta, arriva, se pressa de lui annoncer :
— J’ai exécuté tout ce…
— Je sais, je sais, repose-toi maintenant !
Elle lui tend la main et lui dit, d’une voix où se mêlent respect et pudeur :
— O ! Roi ! Vous m’avez méritée !
Le sultan, ne pouvant pas soutenir le charmant regard de la jeune femme, baissa les yeux. Il ne toucha même pas la belle et tendre main qui lui était tendue. Il ne sut tout d’abord expliquer la faiblesse qui le gagnait. Mais vite il réalisa que ce n’était ni une faiblesse ni une timidité. C’était d'une force extraordinaire qu’il s’était senti envahi en arrivant chez Adila. Une force qui changea tout d’un coup son but, son espoir, son rêve. Il éprouva un désir tout autre. Le désir de se soustraire à sa petitesse, à son insignifiance aux yeux d’Adila. Il n’admettait pas que ses sacrifices aboutiraient à une aventure ordinaire et passagère comme ce fut le cas, maintes fois, avec d’autres femmes. Cette fois, c’était différent. Entièrement différent. Ne le tentaient plus ni cette main angélique qu’Adila  lui offrait ni la sveltesse irrésistible de son corps. Il rêvait de faire de toute cette beauté, de tout ce charme, un autre sacrifice. Il aspirait à acquérir la vertu d’être un homme juste. Un homme libre. Il avait goûté à un bout de cette justice, à un bout de cette liberté, en prononçant son discours historique. Il en est encore ivre.
— Vous m’avez méritée, répéta Adila, je vous accepte comme époux, c’est ce que je vous ai promis.
— Vous croyez qu’il est juste qu’un vieil homme comme moi, ruiné par le temps, mérite une femme si tendre, plus jeune que ma propre fille ?
— Mais je dois tenir ma promesse, je dois vous récompenser pour tout ce que vous avez fait pour moi.
— j’ai déjà obtenu une forte récompense. Votre seul amour me comble, vous êtes libre de votre autre promesse.
-- Regardez ! Regardez ! l’interrompit-elle.

Le souverain se retourna. Au pied de la montagne, toute une armée les observait. De loin, il reconnut la Reine et quelques vizirs. Il réalisa alors qu’il avait été suivi. 
Ils agitaient les bras, ils criaient. Ils lui demandaient de descendre. Ils le lui ordonnaient.
— Qu’est ce qu’ils veulent à votre avis ? demanda-t-il à Adila.
— Tout cela est de ma faute, ils ont l’intention de vous emprisonner pour que vous ne reveniez plus chez moi.
— M’emprisonner ? Mais je suis le Roi !
— Vous étiez le Roi ; vous ne l’êtes plus maintenant. Votre couronne a commencé à fondre depuis que vous m’aviez obéie. Je sais, vous êtes convaincu que vous n’aviez agi que pour le bien de votre peuple. Vous rêviez d’instaurer l’égalité et la paix. Vous êtes satisfait des premières mesures que vous aviez prises. Vous croyez que tout le monde aime la justice. Vous allez vous apercevoir dans un moment que vous vous trompiez. Vous comprendrez quand ils arriveront ici. Regardez comme ils suent pour vous atteindre. Votre femme qui n’avait certainement jamais escaladé une montagne se trouve au premier rang, suivie de vos frères, de vos proches, des vizirs… Tout ce monde n’éprouve pas la satisfaction qui vous comble. Ils ne tolèrent pas que le simple citoyen ait les mêmes droits qu’eux… ils tenteront de vous faire revenir sur la façon dont vous comptez gérer le pays.
— Non, s’écria le Roi, ça ? Jamais !
— Alors, préparez-vous à les affronter ! Moi, je dois m’éclipser.
— Vous m’abandonnez ?
— Non ! Si vous arrivez à les vaincre, je vous rejoindrai. Si vous êtes vaincu, rejoignez-moi, je suis partout.

Le Roi se retrouva encerclé. La Reine s’avança vers lui, le fixa, puis s’adressa aux vizirs :
— Ne vous ai-je pas dit qu’il est fou ? Attention ! Il pourrait être dangereux, il faut le ligoter !
Le Sultan, offensé par les propos de sa femme, se défendit :
— C’est elle qui est folle ! Regardez ses yeux, vous y verrez le diable ! Je vous ordonne de regagner le Palais, je vous rejoindrai le moment venu.
Tout le monde éclata de rire.
— Calmez-vous ! intervint le vizir chargé de l’ordre et la sécurité, la Reine a raison. Il faut le ligoter. Toi, toi et toi…

Trois hommes de forte corpulence se ruèrent sur le Roi qui les voyant venir dégaina son épée ; mais avant même de s’en servir, il se sentit transpercé à plusieurs endroits du corps. La Reine n’eut alors plus besoin de le ligoter pour l’immobiliser.

Elle s’approcha de lui, et de son pied le retourna. Il ne s’était pas encore éteint. Il articula :
— Morts, vous l’êtes depuis longtemps, c’est en vous quittant que j’existerai…
Et il rendit l’âme. Mais il souriait encore. Un sourire d’un charme extraordinaire s’était figé sur sa bouche. Comme une moquerie. Le sourire triomphant blessait profondément chaque cœur haineux qui se penchait sur le cadavre. La Reine fut la première cible touchée. Furieuse, elle ordonna :
— Qu’on le défigure !
Son ordre fut immédiatement exécuté. Le visage du Sultan ne se distinguait plus. Mais le sourire triomphant persistait. Il s’était gravé ineffaçablement sur la mémoire des présents et s’amusait d’un moment à l’autre à remuer leurs consciences.

La caravane guidée par la Reine rentrait au palais. Le vizir des affaires personnelles fermait la marche. Il s’était arrangé pour se retrouver au dernier rang ; parfois il se laissait distancer, il craignait qu’on sache que la disparition du Roi l’attristait. Il arrivait à peine à taire son chagrin. Lui seul savait que le Sultan avait sacrifié sa vie pour une cause juste. Adila est une créature qui anime celui qui la rencontre d’une volonté, d’une passion de changer le monde ou le quitter.
Son cheval s’arrêta. Il connaît bien la bête. Il scrute les alentours. Au sommet de la montagne, Adila rayonnait; un flambeau à la main ; à ses côtés, le Roi continuait à sourire.
                                                                                                         Par Bachirrr
 
  Nb : le mot "Adila" est un dérivé du mot arabe"Adala " qui signifie "justice". Une précision pour avoir une idée de ce que symbolise le personnage "Adila"                                                                                 

mercredi 14 novembre 2018

Adila (2)



Ce jour fut différent. Il lui fut épargné l’effort de concrétiser l’image dont il rêvait. La femme était là, en face de lui. En chair et en os. Palpable. Ce n’était pas une hallucination. 

Le vizir demeura un moment perplexe puis lui demanda :
— Vous habitez cette tente ?
— Oui, répondit-elle, d’une voix plus douce que toute musique.
— Comment vous appelez-vous ?
— Adila.
— Et pourquoi avez-vous choisi cet endroit ?
— je n’existerais pas si je n’étais pas au-dessus de tout.
— Au-dessus de tout euh… quel âge avez-vous ?
— j’ai toujours existé.
— Vous ne m’auriez pas donné de telles réponses si vous saviez qui je suis.
— Je le sais, vous êtes le vizir.
— Et comment le savez-vous ?
— Je sais tout.
« Une sorcière, pensa le vizir, ou une envoyée des djinns qui tente de me séduire et m’attirer dans son univers ». Sa crainte s’éclipsa quand il évoqua les moqueries des autres vizirs et la grogne du Roi s’il retournait bredouille. Le vouloir de voir ses collègues humiliés devant la considération du Sultan pour lui, de passer devant eux la tête haute et l’air hautain, l’encourage à s’aventurer pour réussir à ramener au palais la belle créature.
— Vous êtes une femme très belle…
— Je l’ai toujours été.
— Le Roi sera très ravi de vous voir.
— Je ne vous crois pas.
— Venez avec moi au palais, vous le constaterez de vous-même.
— Impossible de vous accompagner, de descendre de cette montagne, ne vous ai-je pas dit que je désire demeurer au-dessus de tout ?
— Mais pas au-dessus du Roi !
— même au-dessus du Roi.
La patience du vizir s’épuisa. Il ne lui restait qu'à tenter l’autre méthode : la ramener par la force. Il s’approcha d’elle et la tint par le bras.
— Il faut que vous alliez avec moi au palais de gré ou de force !
Adila se dégagea brutalement. Sa force étonna le vizir. Il fut ébahi quand il la vit s’élever, s’élever, puis s’immobiliser en plein air sans l’aide du moindre support. Elle se trouvait à quelques mètres au-dessus de sa tête ; il se frotta les yeux, les ferma, les rouvrit, elle était toujours là. Ce n’était donc pas une hallucination. Il prit son arc, y plaça une flèche et lui lança l’ultime avertissement en la visant.
— Ou vous descendez tout de suite, ou je vous transperce !
Elle éclata de rire. Un rire qui conforta la justesse de l’idée qu’il se faisait d’elle avant, sans vraiment s’en convaincre. Sa flèche ne résoudrait rien. Une créature capable de se maintenir dans les airs serait invulnérable. Il rangea son arme. Même s’il avait pu s’en servir il n’aurait eu aucun honneur en abîmant sa belle capture. « Mais que faire mon Dieu ?», soupira-t-il.
— Dites au Roi de venir me voir.
— Le Roi, venir vous voir ? Vous êtes folle ?
— Vous saurez le convaincre.
— Le convaincre ? Mais pourquoi ne pas me simplifier la tâche en me raccompagnant au palais ?
— Je ne bougerai pas d’ici sans que mes conditions ne soient acceptées.
— Quelles conditions ?
— Je les exigerai au Roi s’il décide de venir me rencontrer au sommet de cette montagne.

Le Roi rassembla toutes les hautes personnalités de son palais. A ses côtés, étaient assis la reine, l’air quelque peu inquiété, et le vizir des affaires personnelles dont le visage exhalait quelque fierté. Tout le monde avait constaté ces derniers temps l’estime que lui témoignait le Sultan. Et pourtant, il était revenu les mains vides au retour de son périple. Ses collègues attendaient qu’il soit réprimandé ; rien ne fut de cela. Au contraire, Le Roi l’accompagna quelques jours plus tard  dans un voyage dont la destination demeura inconnue. On chuchotait au palais que le vizir aurait trouvé un précieux trésor. Mais personne n’en était vraiment certain. La seule certitude était que le rassemblement ordonné par le Roi avait une relation avec les agissements curieux et orgueilleux du vizir des affaires personnelles. 
Le Sultan prit la parole : « Ce jour marquera le début d’une ère nouvelle dans l’histoire du royaume. Je vais vous communiquer les décisions importantes que nous avons prises. Nous avons agi en notre âme et conscience pour le bien de tous les citoyens. Je sais qu’il y aura des réticences quant à l’application de nos ordres. Sachez que tout ce que nous avons décidé doit être concrétisé. Nous avons dans nos prisons des détenus incarcérés pour la simple raison d’avoir une opinion contraire à la nôtre. Certes, ils nous ont offensés ; ils nous ont même insultés ; mais ils avaient utilisé leur intelligence et leurs idées, et nous avions usé de la puissance de nos bras. Nous n’étions pas à armes égales ; ils avaient… de vraies armes. Il y avait injustice.  Ce qui nous a valu la perte de la confiance de notre peuple que je décide de reconquérir ce jour en ordonnant la libération immédiate de ces prisonniers. Les femmes du harem ont le libre choix de partir ou de rester. Que chacune mène sa vie comme bon lui semble ! Il nous sera désormais difficile et insupportable d’être la cause du malheur de quiconque. J’ordonne que tous les objets, tous les biens, accumulés injustement dans le palais, soient restitués à leurs véritables propriétaires. Enfin, nous informons nos savants  qu’ils ont toute la liberté de penser et s’exprimer ouvertement, sans crainte d’être muselés par quiconque. Toutes les décisions que nous avons prises doivent être exécutées à partir d’aujourd’hui, rien ne m’assure que je serai de ce monde demain ».

La nouvelle suscita une grande admiration au sein de la population. Un espoir naquit même chez les démunis qui n’étaient pas directement concernés par ce changement d’attitude du Sultan. Mais quand le soleil se lève, il éclaire et réchauffe tout le monde. Le discours ne passa pas cependant sans créer un mécontentement dans le palais. Le soleil éclaire, réchauffe, mais dévoile aussi. Etaient mécontents les vizirs qui virent dans cet étonnant retournement une atteinte à leurs pouvoirs, à leurs biens. La Reine qui était de leurs avis se sentit frustrée. Le discours de son mari lui avait révélé qu’il lui échappait. Il ne lui avait pas fait part de ses intentions à la veille du jour historique. Il n’avait pas jugé utile de l’associer à son important projet. Il craignait peut-être qu’elle s’y oppose. Il n’avait pas tort. La Reine ne pouvait plus s’empêcher de penser que son mari avait perdu confiance en elle.
Chacun des mécontents put contenir sa révolte pendant les premiers jours qui suivirent le discours. Tous brûlaient de crier haut que le Roi était fou, mais personne ne dit mot. Ils attendaient que quelqu’un ose. Et la Reine osa.

Quelques jours après l’évènement, elle réunit les opposants : « Le Roi est parti à l’aube, sans gardes, il n’est pas revenu ; je sais bien que vous n’avez pas accepté comme moi ce qu’il avait entrepris. Je sais qu’il vous inquiète autant que moi. Il est temps de le sauver de sa folie. Préparons-nous pour aller à sa recherche. Maintenant ».

                                                                                    Par Bachirrr
                                                                                                                   A suivre...

mardi 13 novembre 2018

Adila (1)



Le Roi avait sous son autorité tout le pays. Cela n’aurait étonné personne si le sens du mot « pays » ne contenait pas, en plus des biens matériels, les esprits et les cœurs des citoyens. La première loi qui régissait le royaume et de laquelle découlaient tous les règlements s’intitulait : tout appartient au Roi, tout obéit à sa volonté. S’il désirait ôter un enfant à sa mère et l’offrir à une autre femme, personne ne devrait protester ; la plainte de la mère serait vite rejetée, car elle mettrait en doute la sagesse et la clairvoyance du Souverain. Et nul n’avait le droit d’en douter.
Comment agissait Sa Majesté pour qu’il n’y ait pas d’entrave à l’exécution de ses décisions ?
Il avait gagné la confiance de son peuple. Chaque fois qu’une voix s’élevait pour protester la muselaient les reproches niais de la majorité des habitants ; elle est accusée de blasphème. Se retrouvant isolé, le révolté finissait par reconnaître qu’il avait perdu la raison, car il ne pouvait pas être plus connaisseur que ses parents, ses aïeux ; que toutes les générations qui défilèrent. Si les riches et les pauvres du Royaume convenaient pour une même idée, elle ne serait autre que d’obéir au Roi et l’adorer.
Rien n’est jamais parfait. Le pays n’échappait pas à la véracité de ce dicton. Partout, la Terre a toujours donné naissance à cette sorte d’individus qui préfèrent mourir plutôt que se soumettre, des gens à l’esprit perçant, allant au-delà de toute limite, aux cœurs bondissants, brisant parfois les poitrines pour les quitter et aller s’éclater en toute liberté. On les désignait par le qualificatif connu par tous les citoyens: les rebelles. 
Cette situation n’est nullement étrangère au Roi. A ces brebis galeuses, il désigna des loups qui sauront comment s’y prendre. Il devait suivre les conseils du défunt père. Et ce genre de loups ne manquait pas. Ils avaient même un vizir à leur tête. Un vizir dont la tâche est beaucoup plus simple comparativement à celles plus ardues de ses collègues. Le Souverain en était satisfait ; une satisfaction souvent altérée cependant pas l’incapacité d’un autre vizir, chargé des affaires personnelles du Roi. Son activité consistait à rechercher à travers le Royaume toute chose qui plairait au Souverain et enrichirait ses collections. Il y en avait celle des objets rares et de valeur et dont on excluait tout ce qui  ternissait l’histoire du pays. Il y en avait celle qui regroupe les plus beaux animaux et dont on chassait les bêtes qui devenaient venimeuses. Il y avait le harem bouillant de très belles femmes, et que le temps nettoyait de toute femelle qui se laissait, par inattention ou par fatalité, piétiner par la vieillesse. Enfin, il n’est pas sage d’oublier les sages : le cercle des plus éminents savants dont on appelait à des fonctions insignifiantes ceux qui s’avèrent avares de leur savoir pour le bien du Souverain.
Comme elle était ardue, la tâche du vizir des affaires personnelles du Roi ! Il devait dénicher l’objet exceptionnel, l’animal, la femme, le savant… ses échecs répétés lui avaient valu tant de colère de la part du Roi, sous les yeux amusés de ses collègues qui trouvaient de quoi atténuer leur jalousie.
Blessé, le vizir décida d’entamer une tournée à l’intérieur du pays, et ne revenir qu’avec une belle surprise pour le Roi.

Il traversait une contrée qui semblait déserte quand son cheval s’arrêta tout d’un coup. Il connaissait l’animal : la bête hennissait pour le prévenir d’un danger imminent, s’arrêtait pour l’avertir de l’existence de l’exceptionnel aux alentours. Grâce à cette bête, il bénéficia maintes fois des éloges du Roi. Mais les rois voient vite s’éteindre les bienfaits des autres.
N’ayant jamais douté du flair de son cheval, le vizir mit pied à terre. Il scruta les parages. Au sommet de la plus haute des montagnes se dressait une tente. Une tente toute blanche. « Allons voir, pensa-t-il, il y a peut-être là un objet qui intéresserait le Roi ».
Il laissa sa monture au pied de la montagne et commença à grimper. Le chemin était dur. Il y avait rencontré beaucoup d’obstacles, mais son désir de faire plaisir au Souverain l’aidait à avancer. Chaque fois qu’il s’approchait d’un pas de la tente, sa curiosité s’accentuait. Il rêvait d’y trouver un trésor et l’offrir à Sa Majesté. Ainsi, les autres vizirs qui se plaisaient de le voir malmené, en mourraient de jalousie…
Mais ce n’était qu’un rêve. Il ne trouva rien sous la tente. Il n’y avait ni lit, ni eau, ni feu ; pas de traces de vie. Le sol de l’intérieur ressemblait à celui du dehors, ce qui fit penser au vizir que la tente venait juste d’être dressée. On ne l’avait pas encore balayée des pierres. « Le propriétaire, pensait le vizir, va certainement revenir, je l’attends ici ».
Et il attendit.
De toutes les femmes qui défilèrent au harem, il n’avait jamais vu une aussi belle et élégante que celle qui se trouva, comme tombée du ciel, en face de lui. C’était d’une telle créature qu’il rêvait. Son imagination lui montra combien de fois ces mêmes traits, cette même beauté, ce même charme… Cette même femme. Mais, d’une façon fugitive qui ne lui permettait pas d’en pétrir un véritable corps et l’offrir en précieux présent au Sultan.
Ce jour fut différent. Il lui fut épargné l’effort de concrétiser l’image dont il rêvait. La femme était là, en face de lui. En chair et en os. Palpable. Ce n’était pas une hallucination. 

                                                                          Par Bachirrr

                                                                                                               A suivre...